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Ancre Shakespeare

LE NID

Processus d’amplification d’existence 

 

« Je voulais parler de la mort, mais la vie a fait irruption, comme d’habitude » Virginia Woolf

    Un fils qui prépare chaque année pour son anniversaire le repas préféré de sa mère défunte , une petite fille qui porte les chaussures de sa grand-mère décédée afin qu’elle puisse continuer à arpenter le monde. Que font les personnes qui cultivent un rapport avec leurs morts ? Selon la philosophe Vinciane Despret, les gens qui continuent à parler avec leurs morts prolongent la vitalité de ceux dont on dit qu’ils ne sont plus. Ils luttent contre le jugement de non-existence, ils s’opposent activement à la position dominante de désenchantement de la mort, à la théorie officielle, la théorie du deuil.

Cette théorie est devenue une véritable prescription « on doit faire le travail de deuil ». L’endeuillé doit faire l’épreuve de la réalité, c’est-à-dire qu’il doit accepter que le mort n’existe plus d’aucune manière, si ce n’est comme souvenir et qu’il doit s’en détacher pour investir de nouveaux objets.

C’est précisément ce que ces personnes refusent. Elles savent que ce qu’on désigne par réalité est une version parmi d’autres des réalités possibles. Une version qui s’est trouvée imposée par des concours de circonstances historiques particulières, comme les luttes contre le pouvoir de l’église et les croyances populaires au 19e, la montée du positivisme et l’essor des sciences humaines et leurs croisades de promotion de la rationalisation.

Ces personnes résistent dans un milieu, il faut le dire, relativement hostile, disqualifiant, peu enclin à remettre en cause sa conception de la réalité, et ces personnes s’opposent activement, et même politiquement, aux processus qui pour elles, ne sont rien d’autre que des opérations de domestication des psychés.

 

Mourir différemment pour vivre différent

    Le nid est un espace de sociabilité interrogeant le rapport que nous entretenons avec notre propre mort et qui propose d’imaginer notre cérémonie funéraire. À l’heure où l’on transforme nos défunts en diamant, des téléphones portables pour tombes et où l’on envoie nos cendres dans l’espace, nos représentations de cet après sont en train de voler en éclat. 

Aujourd’hui alors que nous jouissons d’une liberté individuelle en terme de croyances, d’interprétations, de marche à suivre, notre rapport aux morts, à notre propre mort nous offre une liberté qui semble génératrice d’un sentiment de solitude. En enlevant le mode d’emploi amené par le religieux, avons-nous perdu du commun ? 

Un comédien et un professionnel du funéraire proposent aux spectateurs de rencontrer ce moment ou nous allons disparaitre à nous mêmes, à ce moment où notre identité va s’éparpiller dans les souvenirs de nos proches. 

En proposant d’établir une relation plus intime avec notre disparition, ce dispositif met en mouvement des questions de vie. «Qui organisera ma cérémonie?», «Qui est vraiment important pour moi?», 

«Où reposera mon corps ?», «A quoi ressemblera ce moment unique ?», «Suis-je à ma place aujourd’hui ?», … 

 

La performance finit par donner accès à un espace virtuel ou le spectateur peut déposer ses dernières volontés. Les proches du défunt pourront alors trouver dans cette interface numérique les informations « mode d’emploi ». Ce site permettra aussi de répertorier des alternatives funéraires citoyennes (ex: une association qui propose des funérailles pour des sans-papiers, des combines légales pour être enterré dans son jardin…).

Renouer du lien avec cette étape importante de notre vie, pour recréer du commun avec notre absence. Quand je ne serais plus de ce monde à qui aimerais-je confier la tâche de faire respecter mes dernières volontés ? Mes cendres peuvent-elles être jetées à la mer ? Mes proches peuvent-ils garder mon corps avant le moment de mon inhumation ? Cet espace servira aussi de plateforme de ressource funéraire, de mode d’emploi servant à accompagner la mort le moment venu.

Le nid invite à jeter une pierre dans l’édifice de nos questions sans réponses, pour habiter notre vivant, pour parler de qui nous sommes, pour tromper la mort et inventer ce que nous allons devenir, ensemble. 

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Photos : Nicolas Chapoulier

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